Babel chapitre 2: Le précepteur
La matinée était déjà bien avancée. Stacy s'aperçut qu'elle avait perdu bien trop de temps dans son lit lorsqu'elle passa devant les cuisines, où l'odeur du déjeuner chatouillait déjà ses narines. Elle ne s'en rendait pleinement compte que maintenant, mais chaque minute qui lui restait était précieuse. Le moral au plus bas, elle marchait dans les couloirs du manoir, un peu au hasard, sans vraiment savoir où elle allait. Comme d'habitude, les membres du personnel s'interrompaient et s'inclinaient respectueusement lorsqu'elle passait devant eux, avant de reprendre leurs tâches. Pour un peu, elle aurait presque voulu que l'un d'entre eux ne respecte pas le protocole, histoire qu'elle puisse calmer ses nerfs sur quelqu'un.
Plongée dans ses pensées, elle se retrouva finalement sur le pas de la porte. Sans hésiter une seule seconde, elle sortit au grand air. Elle prit une grande inspiration, appréciant quelques instants cette sensation de liberté qui lui serrait la poitrine chaque fois qu'elle sortait de l'imposant manoir.
C'était une belle journée. Les milliers d'alcôves vitrées qui serpentaient tout autour des murs périphériques, sur des dizaines de kilomètres, diffusaient les rayons du Soleil de midi. Sur le plafond, situé à une cinquantaine de mètres de hauteur, une mosaïque complexe rayonnait faiblement, racontant en image de quelle façon l'Eglise avait construit la Tour dans les temps anciens, suite au Cataclysme. Comme tout le monde, Stacy connaissait l'histoire par coeur, mais cela n'altérait en rien la beauté de l'oeuvre.
Elle flâna au milieux des passants, principalement des marchands rangeant leurs étals, mais également quelques aristocrates tardifs. C'était en effet avant midi, plusieurs fois par semaine, que les commerçants montaient jusqu'aux étages supérieurs. Ils venaient des étages les plus bas, où vivaient paysans et artisans, et apportaient victuailles, bijoux et vêtements de qualité. Enfant, Stacy aimait y faire quelques achats, mais elle laissait désormais ses serviteurs s'en occuper. Non pas qu'elle soit lasse de cette activité, mais elle était connue dans toute la ville (pour le plus grand dépit de son père) pour être une lève-tard.
Distraitement, elle se dirigea vers une assez grande bâtisse légèrement éloignée du centre-ville. C'est là que résidait son précepteur, l'ancien disciple de sa mère, à qui elle rendait visite chaque fois que l'influence de son père devenait trop pesante.
Lors du décès de sa mère, alors qu'elle venait d'avoir neuf ans, cet homme l'avait prise sous son aile. Il lui avait enseigné l'Histoire, les mathématiques, l'économie. La façon dont la tour fonctionnait, les différents échanges qui s'effectuaient entre les étages, le protocole qui régissait les classes sociales. Il lui avait inculqué une bonne base culturelle, lui avait fait apprécier l'art sous toutes ses formes.
C'était également lui qui l'avait aidée à faire son deuil. Son propre père ne lui avait même pas rendu visite, étant donné qu'il était lui même anéanti par la mort de sa femme. Mais la Stacy de l'époque vivait mal cette solitude. Elle avait beaucoup pleuré, avait hurlé, frappé, griffé. Mais cet homme était resté là pour elle. Il avait supporté ses crises en silence, lui avait apporté une épaule sur laquelle pleurer. Lui-même avait été assez proche de Alexandra Grimmsworth, mais il avait mis sa tristesse de côté pour supporter au mieux la fille de son amie.
Stacy sourit avec tendresse alors qu'elle ouvrait la porte sans frapper, comme à son habitude. De douze ans son aîné, cet homme aurait pu devenir l'un de ses plus proches amis. Malheureusement, il était issu de la petite noblesse, si bien que son père limitait leur relation.
-Théo ? Lança-t-elle à la cantonade.
Le rez-de-chaussée était uniquement constitué d'une cuisine et d'un salon. Etant donné qu'il était désert, Stacy n'eut pas besoin d'entendre le vacarme qui régnait à l'étage pour savoir que son mentor était dans son atelier. Elle monta promptement les escaliers et ouvrit la porte à la volée, un grand sourire aux lèvres.
Depuis qu'elle était petite, la pièce n'avait pas changée. Intemporelle, elle abritait une immense bibliothèque contenant des ouvrages qui traitaient sur tous les sujets imaginables. Des dizaines de cartes étaient éparpillées à même le sol, ainsi que des croquis étranges. Et au milieux de tout cela, une grande table sur laquelle Théophile Blacksmith prenait appui. Il se retourna lorsqu'il entendit la nouvelle arrivante, surpris.
-Stacy ? Qu'est-ce que tu fais là ?
-Dois-je comprendre que je ne suis pas la bienvenue ? Fit-elle en rougissant légèrement.
Elle ne put s'en empêcher. Son mentor venait visiblement de prendre une douche, car la lumière faisait refléter les quelques gouttelettes qui ornaient encore ses délicates boucles brunes. En plus de ses yeux bleus, qui reflétaient une intelligence candide qui faisant glousser les jeunes filles sur son chemin, son torse était complètement nu, laissant voire une musculature parfaitement sculptée. Il l'attirait, elle ne pouvait le nier. Depuis quand ? Sans doute depuis ses quinze ans, elle l'ignorait, mais c'était un fait.
Il dut d'ailleurs remarquer son trouble car il se sentit soudainement gêné.
-B... Bien sûr que non. Je n'étais juste, euh... Pas préparé à... T'accueillir.
Stacy finit par sourire avec amusement, tandis qu'il se précipita vers une armoire, dans un coin, afin d'enfiler un t-shirt propre. La jeune fille en profita pour se pencher vers le croquis qu'il étudiait sur son atelier.
-Qu'est-ce que c'est ?
-Oh, pas grand chose, juste un projet sans intérêt... Je travaille là-dessus depuis quelques années maintenant.
-Et tu as bientôt terminé ?
-Je viens de finir oui, dit-il en s'emparant de la feuille qu'il enroula soigneusement. Mais assez parlé de moi. Tu n'es pas venue juste pour dire bonjour à ton vieux professeur, si ?
-Vieux professeur ? Tu as encore l'âge de trouver une femme.
Théo ne répondit pas, se contentant de partager un sourire complice avec son élève. Ils restèrent ainsi quelques secondes, appréciant juste l'instant présent, le plaisir d'être réunis. Puis la jeune noble se mit à trembler des épaules. Elle baissa les yeux, surprise. Elle ne savait pas pourquoi, mais sa vision était floue. Elle ravala un sanglot. Son précepteur, compréhensif, s'approcha et la serra dans ses bras. Elle répondit à son étreinte, reconnaissante, et se mit à pleurer. Tout doucement, au début. Puis les larmes se mirent à couler en un flot sans fin.
Il ne dit pas un mot, attendant qu'elle se prononce en première. Il se contenta de la bercer tendrement, comme lorsqu'elle était enfant. Il lui caressait les cheveux avec tendresse, la laissait pleurer tout son soûl dans sa poitrine. Puis Stacy déballa son sac.
Elle lui parla de son père, de sa mère. Elle lui parla de son anniversaire, du mariage qui arrivait, et de sa liberté qui, elle le craignait, s'envolerait ce soir. Et plus elle parlait, plus elle sentait l'étau qui resserrait son coeur s'atténuer. Comme si on lui ôtait un poids de ses épaules. Un poids qu'elle s'était efforcée de porter durant des années, depuis que sa mère l'avait quittée.
-Tout va bien, lui murmura le jeune homme tout près de son oreille. Ne t'inquiète pas, je suis là.
Petit à petit, toujours bercée par ses bras rassurants, elle se calma. Lorsqu'enfin elle leva les yeux vers lui, une multitude de sentiments se bousculèrent dans son esprit. Perdue, désespérée, elle tentait de se raccrocher à la seule personne qui comptait réellement pour elle, celui qui était devenu un synonyme de stabilité dans sa vie. A ce rocher qui tenait bon, malgré la tempête déchaînée qui faisait trembler sa conscience depuis tant d'année déjà.
Alors, dans ce moment critique où sa vie prenait un tournant décisif, elle l'embrassa. Elle y mit toute sa fougue, son ressentiment et son désespoir. Elle déversa tout son coeur dans cette faible étreinte et, l'espace de quelques secondes, plus rien ne compta. Elle savait qu'elle bravait l'interdit, qu'elle allait à l'encontre des règles instaurée par son père et la société, mais c'était là son dernier acte de liberté. C'était à la fois la première et la dernière fois qu'elle embrassait un homme par amour, de son plein gré.
Elle aurait pu prolonger le contact durant des heures. Elle avait conscience de chaque petit détail, de son odeur typiquement masculine, du goût légèrement sucré de ses lèvres. Puis elle sentit que quelque chose clochait. Son mentor était crispé, ne répondait pas à son baiser. Avec une rudesse maîtrisée, il finit par la repousser.
Son regard, alors, transperça la jeune fille. Jamais, au grand jamais, elle n'avait vu une telle colère dans les yeux de cet homme.
-Petite idiote, à quoi pensais-tu ?
-Je t'aime Théo.
Ces mots lui échappèrent. Avec surprise, elle se rendit compte qu'elle le pensait vraiment. Après tant d'années, ce qu'elle ressentait pour lui allait au-delà de la simple attirance.
-Non, dit-il d'un ton sec. As-tu ne serait-ce qu'une idée de ce qu'est l'amour ?
-Bien sûr ! Je...
-Non, tu n'en sais rien, dit-il en haussant dangereusement le ton. Tu ne fais que réagir à tes pulsions, tu ne fais que te servir. T'en rends-tu seulement compte ?
-Je n'ai pas...
-J'en ai assez entendu. Sors d'ici.
Il criait presque désormais.
-Théo...
-Mademoiselle Grimmsworth, sortez de ma maison je vous prie.
Sa voix avait repris un volume normal, mais le ton était horriblement froid. Stacy s'attendait évidemment à ce qu'il la repousse, mais cela la blessa énormément. Elle baissa les yeux, refusant de pleurer devant lui. Elle tourna lentement les talons, se dirigeant vers la sortie.
-Au revoir Théo.
-Adieu, mademoiselle Grimmsworth.
Ses épaules se remirent à trembler de façon incontrôlable. C'était bel et bien un adieu. Sitôt qu'elle aurait franchi le pas de la porte, elle tournerait définitivement le dos à Théo. À sa liberté. Et, quelque part, à sa mère.
Plongée dans ses pensées, elle se retrouva finalement sur le pas de la porte. Sans hésiter une seule seconde, elle sortit au grand air. Elle prit une grande inspiration, appréciant quelques instants cette sensation de liberté qui lui serrait la poitrine chaque fois qu'elle sortait de l'imposant manoir.
C'était une belle journée. Les milliers d'alcôves vitrées qui serpentaient tout autour des murs périphériques, sur des dizaines de kilomètres, diffusaient les rayons du Soleil de midi. Sur le plafond, situé à une cinquantaine de mètres de hauteur, une mosaïque complexe rayonnait faiblement, racontant en image de quelle façon l'Eglise avait construit la Tour dans les temps anciens, suite au Cataclysme. Comme tout le monde, Stacy connaissait l'histoire par coeur, mais cela n'altérait en rien la beauté de l'oeuvre.
Elle flâna au milieux des passants, principalement des marchands rangeant leurs étals, mais également quelques aristocrates tardifs. C'était en effet avant midi, plusieurs fois par semaine, que les commerçants montaient jusqu'aux étages supérieurs. Ils venaient des étages les plus bas, où vivaient paysans et artisans, et apportaient victuailles, bijoux et vêtements de qualité. Enfant, Stacy aimait y faire quelques achats, mais elle laissait désormais ses serviteurs s'en occuper. Non pas qu'elle soit lasse de cette activité, mais elle était connue dans toute la ville (pour le plus grand dépit de son père) pour être une lève-tard.
Distraitement, elle se dirigea vers une assez grande bâtisse légèrement éloignée du centre-ville. C'est là que résidait son précepteur, l'ancien disciple de sa mère, à qui elle rendait visite chaque fois que l'influence de son père devenait trop pesante.
Lors du décès de sa mère, alors qu'elle venait d'avoir neuf ans, cet homme l'avait prise sous son aile. Il lui avait enseigné l'Histoire, les mathématiques, l'économie. La façon dont la tour fonctionnait, les différents échanges qui s'effectuaient entre les étages, le protocole qui régissait les classes sociales. Il lui avait inculqué une bonne base culturelle, lui avait fait apprécier l'art sous toutes ses formes.
C'était également lui qui l'avait aidée à faire son deuil. Son propre père ne lui avait même pas rendu visite, étant donné qu'il était lui même anéanti par la mort de sa femme. Mais la Stacy de l'époque vivait mal cette solitude. Elle avait beaucoup pleuré, avait hurlé, frappé, griffé. Mais cet homme était resté là pour elle. Il avait supporté ses crises en silence, lui avait apporté une épaule sur laquelle pleurer. Lui-même avait été assez proche de Alexandra Grimmsworth, mais il avait mis sa tristesse de côté pour supporter au mieux la fille de son amie.
Stacy sourit avec tendresse alors qu'elle ouvrait la porte sans frapper, comme à son habitude. De douze ans son aîné, cet homme aurait pu devenir l'un de ses plus proches amis. Malheureusement, il était issu de la petite noblesse, si bien que son père limitait leur relation.
-Théo ? Lança-t-elle à la cantonade.
Le rez-de-chaussée était uniquement constitué d'une cuisine et d'un salon. Etant donné qu'il était désert, Stacy n'eut pas besoin d'entendre le vacarme qui régnait à l'étage pour savoir que son mentor était dans son atelier. Elle monta promptement les escaliers et ouvrit la porte à la volée, un grand sourire aux lèvres.
Depuis qu'elle était petite, la pièce n'avait pas changée. Intemporelle, elle abritait une immense bibliothèque contenant des ouvrages qui traitaient sur tous les sujets imaginables. Des dizaines de cartes étaient éparpillées à même le sol, ainsi que des croquis étranges. Et au milieux de tout cela, une grande table sur laquelle Théophile Blacksmith prenait appui. Il se retourna lorsqu'il entendit la nouvelle arrivante, surpris.
-Stacy ? Qu'est-ce que tu fais là ?
-Dois-je comprendre que je ne suis pas la bienvenue ? Fit-elle en rougissant légèrement.
Elle ne put s'en empêcher. Son mentor venait visiblement de prendre une douche, car la lumière faisait refléter les quelques gouttelettes qui ornaient encore ses délicates boucles brunes. En plus de ses yeux bleus, qui reflétaient une intelligence candide qui faisant glousser les jeunes filles sur son chemin, son torse était complètement nu, laissant voire une musculature parfaitement sculptée. Il l'attirait, elle ne pouvait le nier. Depuis quand ? Sans doute depuis ses quinze ans, elle l'ignorait, mais c'était un fait.
Il dut d'ailleurs remarquer son trouble car il se sentit soudainement gêné.
-B... Bien sûr que non. Je n'étais juste, euh... Pas préparé à... T'accueillir.
Stacy finit par sourire avec amusement, tandis qu'il se précipita vers une armoire, dans un coin, afin d'enfiler un t-shirt propre. La jeune fille en profita pour se pencher vers le croquis qu'il étudiait sur son atelier.
-Qu'est-ce que c'est ?
-Oh, pas grand chose, juste un projet sans intérêt... Je travaille là-dessus depuis quelques années maintenant.
-Et tu as bientôt terminé ?
-Je viens de finir oui, dit-il en s'emparant de la feuille qu'il enroula soigneusement. Mais assez parlé de moi. Tu n'es pas venue juste pour dire bonjour à ton vieux professeur, si ?
-Vieux professeur ? Tu as encore l'âge de trouver une femme.
Théo ne répondit pas, se contentant de partager un sourire complice avec son élève. Ils restèrent ainsi quelques secondes, appréciant juste l'instant présent, le plaisir d'être réunis. Puis la jeune noble se mit à trembler des épaules. Elle baissa les yeux, surprise. Elle ne savait pas pourquoi, mais sa vision était floue. Elle ravala un sanglot. Son précepteur, compréhensif, s'approcha et la serra dans ses bras. Elle répondit à son étreinte, reconnaissante, et se mit à pleurer. Tout doucement, au début. Puis les larmes se mirent à couler en un flot sans fin.
Il ne dit pas un mot, attendant qu'elle se prononce en première. Il se contenta de la bercer tendrement, comme lorsqu'elle était enfant. Il lui caressait les cheveux avec tendresse, la laissait pleurer tout son soûl dans sa poitrine. Puis Stacy déballa son sac.
Elle lui parla de son père, de sa mère. Elle lui parla de son anniversaire, du mariage qui arrivait, et de sa liberté qui, elle le craignait, s'envolerait ce soir. Et plus elle parlait, plus elle sentait l'étau qui resserrait son coeur s'atténuer. Comme si on lui ôtait un poids de ses épaules. Un poids qu'elle s'était efforcée de porter durant des années, depuis que sa mère l'avait quittée.
-Tout va bien, lui murmura le jeune homme tout près de son oreille. Ne t'inquiète pas, je suis là.
Petit à petit, toujours bercée par ses bras rassurants, elle se calma. Lorsqu'enfin elle leva les yeux vers lui, une multitude de sentiments se bousculèrent dans son esprit. Perdue, désespérée, elle tentait de se raccrocher à la seule personne qui comptait réellement pour elle, celui qui était devenu un synonyme de stabilité dans sa vie. A ce rocher qui tenait bon, malgré la tempête déchaînée qui faisait trembler sa conscience depuis tant d'année déjà.
Alors, dans ce moment critique où sa vie prenait un tournant décisif, elle l'embrassa. Elle y mit toute sa fougue, son ressentiment et son désespoir. Elle déversa tout son coeur dans cette faible étreinte et, l'espace de quelques secondes, plus rien ne compta. Elle savait qu'elle bravait l'interdit, qu'elle allait à l'encontre des règles instaurée par son père et la société, mais c'était là son dernier acte de liberté. C'était à la fois la première et la dernière fois qu'elle embrassait un homme par amour, de son plein gré.
Elle aurait pu prolonger le contact durant des heures. Elle avait conscience de chaque petit détail, de son odeur typiquement masculine, du goût légèrement sucré de ses lèvres. Puis elle sentit que quelque chose clochait. Son mentor était crispé, ne répondait pas à son baiser. Avec une rudesse maîtrisée, il finit par la repousser.
Son regard, alors, transperça la jeune fille. Jamais, au grand jamais, elle n'avait vu une telle colère dans les yeux de cet homme.
-Petite idiote, à quoi pensais-tu ?
-Je t'aime Théo.
Ces mots lui échappèrent. Avec surprise, elle se rendit compte qu'elle le pensait vraiment. Après tant d'années, ce qu'elle ressentait pour lui allait au-delà de la simple attirance.
-Non, dit-il d'un ton sec. As-tu ne serait-ce qu'une idée de ce qu'est l'amour ?
-Bien sûr ! Je...
-Non, tu n'en sais rien, dit-il en haussant dangereusement le ton. Tu ne fais que réagir à tes pulsions, tu ne fais que te servir. T'en rends-tu seulement compte ?
-Je n'ai pas...
-J'en ai assez entendu. Sors d'ici.
Il criait presque désormais.
-Théo...
-Mademoiselle Grimmsworth, sortez de ma maison je vous prie.
Sa voix avait repris un volume normal, mais le ton était horriblement froid. Stacy s'attendait évidemment à ce qu'il la repousse, mais cela la blessa énormément. Elle baissa les yeux, refusant de pleurer devant lui. Elle tourna lentement les talons, se dirigeant vers la sortie.
-Au revoir Théo.
-Adieu, mademoiselle Grimmsworth.
Ses épaules se remirent à trembler de façon incontrôlable. C'était bel et bien un adieu. Sitôt qu'elle aurait franchi le pas de la porte, elle tournerait définitivement le dos à Théo. À sa liberté. Et, quelque part, à sa mère.