Babel chapitre 4: Transaction
L'homme n'avait visiblement pas l'habitude d'être pris en filature. Il avait déjà quitté la grande avenue illuminée par des centaines de lampadaires, où plusieurs passants déambulaient encore à cette heure tardive. Optant pour une petite ruelle tranquille, il marchait beaucoup trop vite. Il avait l'air pressé, manquait de naturel, jetait sans cesse des regards aux alentours à chaque recoin un peu sombre. Comme s'il s'attendait à ce qu'un individu surgisse soudain de derrière une poubelle. Il semblait savoir qu'on le cherchait.
Son précieux paquetage bien à l'abri dans son manteau et bien serré contre sa poitrine, il avançait ainsi vers le lieu de rendez-vous. Et là, il pourrait enfin s'en débarrasser. Le travail était très risqué, et pas seulement à cause des Modérateurs. Ces derniers avaient beau être nombreux et lourdement armés, ils étaient trop simples à duper. Non, ce qui inquiétait l'homme, c'étaient eux.
Il avait bien conscience qu'effectuer ce genre de transaction sur leur territoire ne lui apporterait que des ennuis, mais la récompenses était beaucoup trop alléchante. De quoi lui permettre de quitter cette zone pour se diriger vers des étages plus tranquilles, où il pourrait commencer une nouvelle vie... Pour la deuxième fois.
Il s'était donc engagé auprès de son employeur, qui l'avait contacté dans un bar du 92e étage. Une livraison classique, qui devait malheureusement le mener jusqu'au 87e. Et dans le monde de la pègre, on appelait cet étage "la porte de l'Enfer".
Jusqu'ici, tout s'était bien déroulé. Profitant de son large réseau de contacts, il avait pu passer les portiers des ascenseurs sans encombre. Seulement voilà, à peine avait-il posé le pied dans cet endroit maudit qu'il avait senti une demi-douzaine de regards se poser sur lui. Et il était prêt à parier qu'au moins l'un d'eux l'avait reconnu. Dès lors, tant que la marchandise était sur lui, ses chances de sortir d'ici vivant étaient nulles.
Il arriva enfin au point nommé, une petite impasse entre deux grands bâtiments en brique rouge. Comme prévu, son contact l'y attendait. Enveloppé dans un long manteau noir, il restait dans l'ombre, cachant son visage. L'homme sentit soudain une présence derrière lui, et jeta un rapide coup d'oeil en arrière. Son coeur manqua un battement.
Un troisième individu se tenait dans son dos. Tout aussi baraqué que lui, mais avec une bonne tête de plus, il portait un débardeur noir par-dessus son jean déchiré, mettant en valeur ses biceps tatoués. Lorsqu'il s'approcha, l'homme put remarquer la cicatrice qui estropiait son visage, une zébrure qui partait de son sourcil droit et qui finissait à la commissure de ses lèvres, en passant par son oeil.
-Qu'est-ce que ça signifie ? Lança l'homme d'un ton ferme.
-Relax, on est clean, lui répondit celui qui était resté dans l'ombre d'une voix suave. Tu comprendras que face au fameux Modérateur déchu, j'ai dû prendre quelques... Mesures, au préalable.
Son acolyte, silencieux, se contenta de dégainer un couteau aussi long que son bras.
-File moi ma thune, qu'on en finisse. Avec un lascar pareil, on va vite se faire repérer.
-T'as la came ?
L'homme réfléchit à toute vitesse. Il aurait voulu avoir la confirmation qu'il toucherait son paiement, mais il n'était pas en position d'intimider son interlocuteur. À contrecoeur, il lança le petit paquet à l'individu armé, qui l'attrapa en plein vol.
-On est bon, confirma ce dernier après avoir reniflé le paquetage. Y en a pour cinq cent grammes là-dedans.
-Mmh... Renchérit son acolyte d'une voix profonde. Et à combien s'élève le taux, déjà ?
Faire semblant de ne pas connaître le prix exact pour commencer à marchander. Une tactique vieille comme la nuit, mais s'ils devaient marchander, l'homme était désavantagé. Ce n'était pas censé se dérouler ainsi.
-On tourne à trois cent cinquante crédits pour un gramme, lança soudain une quatrième voix. C'est une sacrée somme si vous voulez mon avis.
Tous se tournèrent vers le nouvel arrivant, abasourdis. Petit de taille et extrêmement mince, il couvrait sa tête sous un sweat à capuche noir. Les mains dans les poches, il les toisait froidement. Curieusement, si son regard semblait aussi mature que celui d'un adulte dans la fleur de l'âge, son visage et sa voix ne trompaient pas : il était encore bien jeune. Beaucoup trop jeune pour traîner dans ce genre de milieu. Un vent de panique secoua le trio lorsqu'ils reconnurent leur interlocuteur.
-Toi...
L'homme au couteau tenta de réagir le premier, mais il ne fut pas assez rapide. Sortant les mains de ses poches, le jeune homme projeta une lame qui, dans un éclair argenté, toucha l'homme dans l'ombre, qui s'écroula dans un cri étranglé.
-Marcus Fisher, dit "le Modérateur déchu". Tu es tombé encore plus bas que tu ne l'étais déjà.
Le balafré voulut à nouveau l'attaquer, mais le jeune homme émit un sifflement strident. Une masse informe sortit alors de l'ombre derrière lui et se jeta sur l'assaillant, dans un rugissement bestial. Ils roulèrent à terre et se lancèrent dans un combat acharné.
-Malheureusement pour toi, tu n'es pas sans savoir que ce genre de petit commerce est interdit sur mes terres.
Marcus sentit son sang se glacer. Son intuition s'était révélée vraie. Ils savaient, dès le début, qu'il était ici. Ils savaient ce qu'il transportait. Quelque chose clochait cependant. Surmontant sa peur, il éleva la voix d'un ton peu assuré.
-Pourquoi bordel ? Pourquoi l'un des plus gros cadors de la pègre prendrait la peine de se déplacer pour avoir ma peau ? Pourquoi...
Il fut interrompu par un solide coup à l'estomac. Le souffle coupé, il se plia en deux. Petit, mais robuste. Durant toute sa carrière de Modérateur, et même après, il n'avait jamais reçu de coup aussi douloureux, que ce soit à la caserne, dans les bars, où dans les escarmouches de rue. Son adversaire lui balaya aussitôt les jambes, et il se retrouva à terre. Une semelle vint presser sa joue contre le sol.
-Disons qu'il y a quelques infos que tu possèdes qui m'intéressent. Mais avant tout, rentre-toi bien dans le crâne que c'est moi, et uniquement moi, qui pose les questions.
-Si tu penses que je vais te dire quoi que ce soit, tu te fourres le doigt dans l'oeil.
-Ah la la... Tu m'obliges à employer les grands moyens.
Il se pencha vers l'oreille de Marcus, et lui murmura, tout doucement, près de son oreille.
-Écoute...
Au début, il n'entendait rien, à part son propre souffle saccadé. Puis il remarqua le calme apparent. Comprit que le balafré avait fini de se battre avec ce qui l'avait attaqué. Et c'est alors qu'il entendit le bruit. Un bruit de succion, d'os qui se brisent, de chair qui s'arrache. Le bruit de quelqu'un, ou quelque chose, en train de mâcher avec voracité. Et l'odeur du sang, qui pénétra ses narines et lui monta au cerveau. La peur le saisit soudain. Il savait ce qui se racontait à propos de cet homme, celui qui ne se baladait jamais sans son "familier", une bête que personne n'avait jamais vue, et dont on ne pouvait que constater les dégâts. C'est-à-dire des restes de cadavres.
-Je te préviens, Danny risque d'être très contrarié si je l'interrompt en plein repas. Alors dis-moi, tu vas répondre à mes questions, oui ou non ?
-Va te faire foutre.
Silence.
-Mauvaise réponse.
***
Le visage neutre, Evan contemplait froidement ce qui restait de cet homme. Danny n'y était pas allé de main morte mais curieusement, il vivait encore. Le jeune homme était néanmoins légèrement agacé. En dépit de ses tortures, Marcus n'avait pas lâché ne serait-ce qu'une bribe d'information. Il avait à peine crié, s'étant contenté de subir la douleur en silence. Une ténacité digne d'un Modérateur.
Par nécessité, il faillit ordonner à son "familier" d'en finir. Un homme capable de survivre avec un bras, une jambe et deux yeux en moins était dangereux. Son désir de s'accrocher à la vie était dangereux. Assoiffé de vengeance, il pourrait s'avérer être un ennemi potentiellement néfaste.
Mais un coup d'oeil vers Danny, qui mâchonnait ce qui semblait être un doigt, lui fit comprendre qu'il était déjà repu.
-Ok, ça suffira pour ce soir. On bouge.
Son précieux paquetage bien à l'abri dans son manteau et bien serré contre sa poitrine, il avançait ainsi vers le lieu de rendez-vous. Et là, il pourrait enfin s'en débarrasser. Le travail était très risqué, et pas seulement à cause des Modérateurs. Ces derniers avaient beau être nombreux et lourdement armés, ils étaient trop simples à duper. Non, ce qui inquiétait l'homme, c'étaient eux.
Il avait bien conscience qu'effectuer ce genre de transaction sur leur territoire ne lui apporterait que des ennuis, mais la récompenses était beaucoup trop alléchante. De quoi lui permettre de quitter cette zone pour se diriger vers des étages plus tranquilles, où il pourrait commencer une nouvelle vie... Pour la deuxième fois.
Il s'était donc engagé auprès de son employeur, qui l'avait contacté dans un bar du 92e étage. Une livraison classique, qui devait malheureusement le mener jusqu'au 87e. Et dans le monde de la pègre, on appelait cet étage "la porte de l'Enfer".
Jusqu'ici, tout s'était bien déroulé. Profitant de son large réseau de contacts, il avait pu passer les portiers des ascenseurs sans encombre. Seulement voilà, à peine avait-il posé le pied dans cet endroit maudit qu'il avait senti une demi-douzaine de regards se poser sur lui. Et il était prêt à parier qu'au moins l'un d'eux l'avait reconnu. Dès lors, tant que la marchandise était sur lui, ses chances de sortir d'ici vivant étaient nulles.
Il arriva enfin au point nommé, une petite impasse entre deux grands bâtiments en brique rouge. Comme prévu, son contact l'y attendait. Enveloppé dans un long manteau noir, il restait dans l'ombre, cachant son visage. L'homme sentit soudain une présence derrière lui, et jeta un rapide coup d'oeil en arrière. Son coeur manqua un battement.
Un troisième individu se tenait dans son dos. Tout aussi baraqué que lui, mais avec une bonne tête de plus, il portait un débardeur noir par-dessus son jean déchiré, mettant en valeur ses biceps tatoués. Lorsqu'il s'approcha, l'homme put remarquer la cicatrice qui estropiait son visage, une zébrure qui partait de son sourcil droit et qui finissait à la commissure de ses lèvres, en passant par son oeil.
-Qu'est-ce que ça signifie ? Lança l'homme d'un ton ferme.
-Relax, on est clean, lui répondit celui qui était resté dans l'ombre d'une voix suave. Tu comprendras que face au fameux Modérateur déchu, j'ai dû prendre quelques... Mesures, au préalable.
Son acolyte, silencieux, se contenta de dégainer un couteau aussi long que son bras.
-File moi ma thune, qu'on en finisse. Avec un lascar pareil, on va vite se faire repérer.
-T'as la came ?
L'homme réfléchit à toute vitesse. Il aurait voulu avoir la confirmation qu'il toucherait son paiement, mais il n'était pas en position d'intimider son interlocuteur. À contrecoeur, il lança le petit paquet à l'individu armé, qui l'attrapa en plein vol.
-On est bon, confirma ce dernier après avoir reniflé le paquetage. Y en a pour cinq cent grammes là-dedans.
-Mmh... Renchérit son acolyte d'une voix profonde. Et à combien s'élève le taux, déjà ?
Faire semblant de ne pas connaître le prix exact pour commencer à marchander. Une tactique vieille comme la nuit, mais s'ils devaient marchander, l'homme était désavantagé. Ce n'était pas censé se dérouler ainsi.
-On tourne à trois cent cinquante crédits pour un gramme, lança soudain une quatrième voix. C'est une sacrée somme si vous voulez mon avis.
Tous se tournèrent vers le nouvel arrivant, abasourdis. Petit de taille et extrêmement mince, il couvrait sa tête sous un sweat à capuche noir. Les mains dans les poches, il les toisait froidement. Curieusement, si son regard semblait aussi mature que celui d'un adulte dans la fleur de l'âge, son visage et sa voix ne trompaient pas : il était encore bien jeune. Beaucoup trop jeune pour traîner dans ce genre de milieu. Un vent de panique secoua le trio lorsqu'ils reconnurent leur interlocuteur.
-Toi...
L'homme au couteau tenta de réagir le premier, mais il ne fut pas assez rapide. Sortant les mains de ses poches, le jeune homme projeta une lame qui, dans un éclair argenté, toucha l'homme dans l'ombre, qui s'écroula dans un cri étranglé.
-Marcus Fisher, dit "le Modérateur déchu". Tu es tombé encore plus bas que tu ne l'étais déjà.
Le balafré voulut à nouveau l'attaquer, mais le jeune homme émit un sifflement strident. Une masse informe sortit alors de l'ombre derrière lui et se jeta sur l'assaillant, dans un rugissement bestial. Ils roulèrent à terre et se lancèrent dans un combat acharné.
-Malheureusement pour toi, tu n'es pas sans savoir que ce genre de petit commerce est interdit sur mes terres.
Marcus sentit son sang se glacer. Son intuition s'était révélée vraie. Ils savaient, dès le début, qu'il était ici. Ils savaient ce qu'il transportait. Quelque chose clochait cependant. Surmontant sa peur, il éleva la voix d'un ton peu assuré.
-Pourquoi bordel ? Pourquoi l'un des plus gros cadors de la pègre prendrait la peine de se déplacer pour avoir ma peau ? Pourquoi...
Il fut interrompu par un solide coup à l'estomac. Le souffle coupé, il se plia en deux. Petit, mais robuste. Durant toute sa carrière de Modérateur, et même après, il n'avait jamais reçu de coup aussi douloureux, que ce soit à la caserne, dans les bars, où dans les escarmouches de rue. Son adversaire lui balaya aussitôt les jambes, et il se retrouva à terre. Une semelle vint presser sa joue contre le sol.
-Disons qu'il y a quelques infos que tu possèdes qui m'intéressent. Mais avant tout, rentre-toi bien dans le crâne que c'est moi, et uniquement moi, qui pose les questions.
-Si tu penses que je vais te dire quoi que ce soit, tu te fourres le doigt dans l'oeil.
-Ah la la... Tu m'obliges à employer les grands moyens.
Il se pencha vers l'oreille de Marcus, et lui murmura, tout doucement, près de son oreille.
-Écoute...
Au début, il n'entendait rien, à part son propre souffle saccadé. Puis il remarqua le calme apparent. Comprit que le balafré avait fini de se battre avec ce qui l'avait attaqué. Et c'est alors qu'il entendit le bruit. Un bruit de succion, d'os qui se brisent, de chair qui s'arrache. Le bruit de quelqu'un, ou quelque chose, en train de mâcher avec voracité. Et l'odeur du sang, qui pénétra ses narines et lui monta au cerveau. La peur le saisit soudain. Il savait ce qui se racontait à propos de cet homme, celui qui ne se baladait jamais sans son "familier", une bête que personne n'avait jamais vue, et dont on ne pouvait que constater les dégâts. C'est-à-dire des restes de cadavres.
-Je te préviens, Danny risque d'être très contrarié si je l'interrompt en plein repas. Alors dis-moi, tu vas répondre à mes questions, oui ou non ?
-Va te faire foutre.
Silence.
-Mauvaise réponse.
***
Le visage neutre, Evan contemplait froidement ce qui restait de cet homme. Danny n'y était pas allé de main morte mais curieusement, il vivait encore. Le jeune homme était néanmoins légèrement agacé. En dépit de ses tortures, Marcus n'avait pas lâché ne serait-ce qu'une bribe d'information. Il avait à peine crié, s'étant contenté de subir la douleur en silence. Une ténacité digne d'un Modérateur.
Par nécessité, il faillit ordonner à son "familier" d'en finir. Un homme capable de survivre avec un bras, une jambe et deux yeux en moins était dangereux. Son désir de s'accrocher à la vie était dangereux. Assoiffé de vengeance, il pourrait s'avérer être un ennemi potentiellement néfaste.
Mais un coup d'oeil vers Danny, qui mâchonnait ce qui semblait être un doigt, lui fit comprendre qu'il était déjà repu.
-Ok, ça suffira pour ce soir. On bouge.